Un jugement droit et de l’expérience.
L’accompagnateur, ou le directeur, selon le vocabulaire et les écoles spirituelles doit avoir un jugement droit, nous dirions aujourd’hui du bon sens, une formation ecclésiale, une véritable culture ecclésiale que l’on appelle le » sentire cum ecclesia » et qui manque parfois dans une époque imprégnée d’utopismes…et de l’expérience. Il n’est pas toujours judicieux de prendre le tout jeune prêtre qui débarque, même s’il a des airs de saint François de Sales et prêche magnifiquement. L’expérience dans l’accompagnement spirituel est aussi une maturation personnelle de l’accompagnateur, des références, des erreurs, hélas, qu’il aura rectifiées, du temps, de l’humilité, bref, le travail de toute une vie. Quant aux hommes de doctrine, il semble s’agir là des théologiens…s’ils écrivent de beaux livres et brillent par leur savoir, tant mieux, mais à condition que leur théologie soit une » théologie à genoux », c’est-à-dire priante. Un théologien homme de foi, et non pas de gloire humaine, permet de s’appuyer sur les vérités de l’Eglise, donc d’éviter les dévotions niaises, celles qui se rapprochent du sensible, de la superstition.
Attention, accompagnateurs nuisibles!
La responsabilité de l’accompagnateur spirituel devant Dieu, selon Jean de la Croix ;
Et encore : « D’ordinaire, quelque bonté que Dieu témoigne à l’âme, il ne fait pas et ne dit pas par lui-même ce qui est du ressort des aptitudes humaines et du conseil humain. » § 13
Dans le commentaire B de la troisième strophe de La vive Flamme d’amour ¡Oh llama de amor viva…, rédigé à l’adresse de « la très noble et très dévote dame » Ana de Peñalosa, Jean de la Croix introduit cette longue digression (les paragraphes 28 à 62) où il parle des trois aveugles qui peuvent entraver l’œuvre le l’Esprit saint devenu le seul guide de l’âme (la personne) : le maître spirituel, le démon et soi-même (29). La plus longue partie, et de beaucoup, concerne le maître spirituel (30 – 62), deux parties brèves concernent le démon (63 – 65) et l’âme elle-même (66 – 67). Voici quelques extraits significatifs :
56. Mais, dira-ton, s’ils font fausse route, n’est-ce point par un bon zèle, et parce que leur science ne va pas au-delà ? Non, cela ne suffit pas à excuser les avis téméraires qu’ils donnent sans se mettre en peine de connaître la voie spirituelle par laquelle marche l’âme. S’ils ne la connaissent pas, qu’ils ne s’y entremêlent pas maladroitement, et qu’ils laissent ce soin à de plus entendus. Ce n’est pas une faute légère de faire perdre à une âme des biens inestimables, et peut-être de ruiner à tout jamais sa voie par leurs imprudents conseils. Celui qui erre par sa faute là où il est obligé de voir clair – ; et chacun y est obligé en son office, – n’évitera pas le châtiment, et ce châtiment sera en proportion du mal qu’il aura fait. Les affaires de Dieu doivent se traiter avec précaution et en sachant ce que l’on fait, surtout lorsqu’elles sont de cette importance, de cette sublimité. De fait, il s’agit d’un gain presque infini si l’on tombe juste, et d’une perte presque infinie si l’on a le malheur de faire fausse route.
On constate donc un équilibre entre la nécessité de l’accompagnateur, car Dieu ne fait pas ce que l’homme peut faire : attention au danger de vouloir des éclairages » sensibles », sans passer par la raison et la sagesse de l’Eglise, donc par d’autres cerveaux humains que le nôtre! En même temps, » les affaires de Dieu doivent se traiter avec précaution » , les conséquences d’un accompagnement spirituel mal mené sont graves, saint Jean de la Croix, qui en avait beaucoup souffert, ne mâche pas ses mots et n’excuse pas l’incompétence, l’imprudence, le manque de prière personnelle.
Gravité des conséquences du manque de compétence et d’humilité chez un accompagnateur spirituel :
57. … Cette conduite téméraire ne restera pas impunie. Une fois qu’une âme a fait progrès, sous la continuelle assistance de Dieu, dans le chemin spirituel, elle doit nécessairement changer son style et sa manière de procéder dans l’oraison. Il lui faut en conséquence une autre direction, un autre esprit… Un ouvrier saura dégrossir un bloc de bois et il ne saura pas en tirer une statue. Un artiste saura le sculpter et il ne saura pas lui donner son dernier fini… Le talent de chacun est limité, et s’il voulait l’outrepasser, il ruinerait l’œuvre qui lui est confiée.
Gare à celui qui tyrannise les âmes! L’accompagnement est avant tout un service.
Saint Jean de la Croix décrit ici » la prise de pouvoir » sur les âmes et sa source dans l’accompagnateur : ne pas laisser partir vers un autre, mettre tout en oeuvre pour qu’elles ne quittent point celui qui croit avoir le monopole de la doctrine. description qui n’a rien perdu de son piquant et que l’on peut actualiser à travers les pièges de l’affectif, du mélange du for interne et externe, de l’utilisation de la psychologie pour s’attacher la personne…cette forme de tyrannie pour garder le pouvoir n’est pas de l’accompagnement spirituel, mais une manière de faire sentir son pouvoir : » Les grands de ce monde font sentir leur pouvoir, parmi vous il ne doit pas en être ainsi : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur ». ( Matthieu 20, 24 à 26) L’accompagnement spirituel est avant tout un service et l’accompagnateur spirituel, à l’image du Christ qui est venu pour servir et non pas être servi, doit se faire humble serviteur.