Thérèse de Lisieux, seule sur les flots de la confiance ?

5) : Thérèse de Lisieux et l’accompagnement spirituel.

 


Thérèse de Lisieux accompagnée spirituellement par…sa soeur Marie.

Marie, devenue soeur Marie du Sacré Coeur

Marie, devenue soeur Marie du Sacré Coeur
Il semble que la première accompagnatrice de Thérèse sur le plan spirituel fut...sa soeur Marie, témoin de sa terrible maladie des scrupules.

 » L’année qui suivit ma première Communion se passa presque tout entière sans épreuves intérieures pour mon âme, ce fut pendant ma retraite de seconde Communion 157  NHA 418 que je me vis assaillie par la terrible maladie des scrupules… Il faut avoir passé par ce martyre pour le bien comprendre, dire ce que j’ai souffert pendant un an et demi, me serait impossible… Toutes mes pensées et mes actions les plus simples devenaient pour moi un sujet de trouble, je n’avais de repos qu’en les disant à Marie,158  ce qui me coûtait beaucoup, car je me croyais obligée de lui dire les pensées extravagantes que j’avais d’elle même. Aussitôt que mon fardeau était déposé, je goûtais un instant de paix, mais cette paix passait comme un éclair et bientôt mon martyre recommençait. Quelle patience n’a-t-il pas fallu à ma chère Marie, pour m’écouter
sans jamais témoigner d’ennui!… A peine étais-je revenue de l’abbaye qu’elle se mettait à me friser pour le lendemain (car tous les jours pour faire plaisir à Papa la petite reine avait les cheveux frisés, au grand étonnement de ses compagnes et surtout des maîtresses qui ne voyaient pas d’enfants si choyées de leurs parents), pendant la séance je ne cessais de pleurer en racontant tous mes scrupules. » ( Manuscrit A, folio 39, verso)

Et un peu plus loin :

« Ainsi je n’avais en réalité que Marie, elle m’était pour ainsi dire indispensable, je ne disais qu’à elle mes scrupules et j’étais si obéissante que jamais mon confesseur n’a connu ma vilaine maladie, je lui disais juste le nombre de péchés que Marie m’avait permis de confesser, pas un de plus, aussi j’aurais pu passer pour être l’âme la moins scrupuleuse de la terre, malgré que je le fusse au dernier degré… Marie savait donc tout ce qui passait en mon âme, elle savait aussi mes désirs du Carmel et je l’aimais tant que je ne pouvais pas vivre sans elle.  » ( Manuscrit A, folio 41, verso)

Rôle curieux que celui de cette accompagnatrice qui essaie d’endiguer une maladie spirituelle en permettant de confesser un nombre  » raisonnable » de péchés…!  Nous ne sommes pas dans un accompagnement classique, bien sûr, mais dans un soutien spirituel entre deux soeurs de la même fratrie, l’aînée soutenant la cadette en l’écoutant patiemment et en lui signalant ce qui est péché à confesser et ce qui ne l’est pas, mais relève des scrupules, donc d’une culpabilisation, d’un perfectionnisme, d’une crainte confuse de ne plus être aimée…Cependant, Marie est la confidente spirituelle de sa soeur cadette. En termes modernes, on parlerait assez vite d’un mélange des genres ! Il faudra beaucoup de séparations et de maturation dans l’épreuve avant que Thérèse ne devienne autonome et adulte, ne dépendant plus de sa soeur, même lorsqu’elles seront dans le même carmel. Devenue Marie du Sacré Coeur au carmel, la soeur aînée de Thérèse gardera cette compréhension profonde de l’âme de Thérèse, et ne l’accompagnant bien sur plus du tout au plan spirituel au sens d’une autorité quelconque, même fraternelle ( cela eût été dangereux dans le cadre d’une communauté où se trouvaient plusieurs membres de la même fratrie, les soeurs Martin ayant été naturellement la cible de médisances inévitables contre le  » clan Martin »), Marie sera souvent plus à même de comprendre Thérèse sur le plan spirituel. C’est peut-être ce qui aura permis à soeur Marie du Sacré Coeur de suggérer à soeur Geneviève de demander à Thérèse d’écrire ses souvenirs d’enfance, et plus encore le manuscrit B,  » la petite doctrine ». On est loin de la maladie des scrupules, et Thérèse est désormais en pleine maturité, capable de donner une doctrine spirituelle qui fera d’elle un docteur de l’Eglise.


Pauline, mère Agnès de Jésus : une grande soeur et…une prieure.

Pauline, mère Agnès de Jésus

Pauline, mère Agnès de Jésus
Si Marie semble avoir eu un rôle plus intime, une forme d’accompagnement spirituel durant l’enfance, Pauline passera du rôle de seconde maman à celui…de prieure. Ainsi, l’une des soeurs de Thérèse, sa soeur Marie, aura été une sorte d’accompagnatrice, tandis que l’autre soeur, Pauline, deviendra sa supérieure. Difficile pour Thérèse, entrée si jeune au Carmel, d’avoir au for externe sa chère soeur aînée à qui elle voudrait tant continuer à se confier au for interne, en confidence fraternelle. La maturité de Thérèse est pourtant déjà si grande qu’elle ne tombera pas dans ce piège, résistant à la tentation d’aller chercher un peu d’affection fraternelle auprès de celle qui gouverne la communauté. Les jalousies internes propres à une communauté n’ont pas manqué d’attaquer la jeune Thérèse, qui était dans la situation idéale pour devenir une  » chouchoute », ou une mascotte communautaire, ou encore une petite privilégiée protégée par sa grande soeur. Mais rien de tout cela ne se produira, Thérèse ne mélangeant pas le for interne et le for externe, et ne cherchant aucun avantage personnel auprès des liens du sang, pas même le réconfort légitime de l’affection de ses soeurs de sang. Grâce à cette grande maturité affective, qui ne fut pas sans douleur ni sans purifications, sans compter l’épreuve de la maladie paternelle, Thérèse n’aura en rien altéré le trésor de sa petite voie, qui passera à la postérité justement par le biais de sa soeur Pauline : mère Agnès de Jésus était la mieux placée pour assurer le rayonnement de la doctrine thérésienne, non pas parce qu’elle aurait été dans une pseudo adulation de sa soeur cadette, mais parce qu’elle savait la pureté d’intention, ainsi que les sacrifices qui accompagnèrent la maturation de cette doctrine. Ainsi, la soeur aînée, en tant que prieure, fut témoin direct de l’oeuvre de Dieu en sa petite soeur; elle n’aura fait que donner l’impulsion, ( y mettant tellement du sien que ses 7000 retouches du texte authentique de Thérèse mettront bien du temps à être nettoyées du texte original!), mais une fois l’impulsion donnée, la Thérèse authentique et dégagée d’ajouts bien dans le goût de l’époque, gagne du terrain, l’authenticité et et la force du message évangélique de Thérèse ne cessant de se déployer.

Mais alors, on peut ne pas avoir d’accompagnateur spirituel comme ce fut le cas de Thérèse de Lisieux?

Thérèse aura vécu une grande solitude dans ce domaine, au point que certains ont dit qu’elle n’avait jamais eu d’accompagnateur spirituel, ce qui relativise l’absolu nécessité d’avoir un accompagnateur spirituel, bien des saints n’ont ont pas eu d’attitré, quant à la grande Thérèse d’Avila, elle en consulté plus de cinquante ! L’importance de l’accompagnateur spirituel est soulignée par deux écoles : d’une part les Jésuites, et d’autre part la redécouverte des  » starrets » ou de la spiritualité russe de l’accompagnement monastique des moines entre eux. Pour sa part, Thérèse de Lisieux fut avant tout guidé par Dieu.  L’antienne propre de la messe au jour de sa fête le redit ainsi : » Il l’a entouré et a pris soin d’elle : il l’a gardée comme la prunelle de ses yeux. Comme l’aigle, il a déployé ses ailes, l’a enlevée et emportée sur ses épaules. Le Seigneur seul fut son guide. »

Lorsqu’elle écrit ce qui deviendra l’Histoire d’une Ame, sa maturité spirituelle est déjà au-delà d’un accompagnement spirituel autre que celui de l’Esprit Saint, et ce qu’elle confie de son âme montre les merveilles du Seigneur et la façon dont Lui-même la guida et l’accompagna. Ses soeurs se sont depuis longtemps effacées comme accompagnatrices devant l’oeuvre de Dieu en Thérèse et ont compris les premières que Jésus lui-même avait fait passer Thérèse au rang des  » Docteurs », ce que confirmera l’Eglise avec la déclaration de Thérèse Docteur de l’Eglise.

On peut donner au prêtre qui lança Thérèse sur les flots de la confiance, le père Prou, un franciscain qui prêcha la retraite annuelle du 7 au 15 octobre 1891 au carmel, le titre de père spirituel. Son passage, même bref, fut décisif : Thérèse est la seule d’entre ses sœurs à être enthousiaste. Elle se confie alors à ce Père et se sent admirablement comprise. Il ose lui dire que ses « fautes ne faisaient pas de peine au Bon Dieu » et lance Thérèse « à pleines voiles sur les flots de laconfiance et de l’amour. » (f.° 80 v°) « A peine entrée dans le confessionnal, je sentis mon âme se dilater. Après avoir dit peu de mots, je fus comprise d’une facon merveilleuse et même devinée… mon âme était comme un livre dans lequel le Père lisait mieux que moi-même. Il me lança à pleine voile sur les flots de la confiance et de l’amour qui m’attiraient si fort mais sur lesquels je n’osais avancer… il me dit que mes fautes ne faisaient pas de peine au bon Dieu, que tenant sa place il me disait de sa part qu’il était content de moi. »


Ensuite, seule sur les flots de la confiance?

Thérèse de Lisieux, seule sur les flots de la confiance ?
Par la suite, la solitude de Thérèse devient bien grande. Mais l’essentiel est fait, elle est entrée dans la voie que Dieu voulait pour elle et sa confiance va grandir à mesure que sa mission devient universelle, tout en restant cachée. Il n’y a plus d’accompagnateur sensible, qu’elle puisse contacter facilement et à qui demander conseil. C’est par la prière, la grande proximité spirituelle avec Jean de la Croix, la méditation de l’Evangile, l’action de l’Esprit Saint que Thérèse progresse dans cette confiance. Ses écrits et sa petite voie en sont l’écho. Les circonstances ne permettent pas un accompagnement tel qu’aujourd’hui nous l’imaginerions, régulier et réconfortant. Thérèse oeuvre pourtant pour l’accompagnement spirituel à un degré bien plus large, puisque ses écrits et sa petite voie formeront les générations d’accompagnateurs spirituels à venir.

Il y a bien dans l’expérience de Thérèse  » assistante de la maîtresse des novices » une expérience d’accompagnatrice spirituelle : ce sera pour orienter vers la petite voie ses novices qui ignorent pour l’instant la qualité exceptionnelle de l’accompagnement qui leur est offert, en prise directe sur l’Evangile. Ainsi Thérèse n’attire pas à elle, montrant combien par la petite voie et l’effacement dans la petitesse toute relative à Jésus, l’accompagnement devient sanctification pour l’accompagné et l’accompagnant. Pour accompagner spirituellement dans l’esprit de Thérèse, il est indispensable d’entrer dans la « petite voie ». De grands spirituels, comme le père Eugène-Marie de l’Enfant Jésus, ont entrepris ce chemin qui prépare des accompagnateurs spirituels pour le troisième millénaire. Le bienheureux Jean-Paul II nous signale que les lettres de Thérèse constituent un modèle de direction spirituelle des âmes :
« Dans les deux cent soixante-six Lettres que nous conservons, adressées aux membres de sa famille, aux religieuses, à ses « frères » missionnaires, Thérèse communique sa sagesse et développe un enseignement qui constitue de fait une pratique profonde de la direction spirituelle des âmes. » ( décret Divini Amoris Scientiae )


Thérèse, présentée par Benoît XVI et Jean-Paul II.

Thérèse de Lisieux, seule sur les flots de la confiance ?
Une présentation de Thérèse  par Benoît XVI qui résume la petite voie et permet de mieux la comprendre. Ainsi, peu accompagnée elle-même, si ce n’est par le Seigneur, Thérèse préparait une voie qui vaut un accompagnement spirituel (combien de saints ont été  » accompagnés » par les Manuscrits autobiographiques de Thérèse ?) , la petite voie devenant pour les accompagnateurs spirituels d’aujourd’hui le chemin indispensable pour éviter l’orgueil spirituel qu’il y a à vouloir accompagner autrui en s’en faisant le maître ou en prétendant maîtriser un  » savoir » de la sainteté. La  » science de l’amour »qui fut celle de Thérèse évite tous ces écueils, comme le redit le bienheureux Jean-Paul II dans le décret Divini Amoris Scientiae qui fit Thérèse Docteur de l’Eglise , autrement dit  » apôtre des apôtres » par la découverte de sa petite voie :
« L’influence de son message touche avant tout des hommes et des femmes dont la sainteté ou l’héroïcité des vertus ont été reconnues par l’Eglise ellemême, des pasteurs de l’Eglise, des spécialistes de la théologie et de la spiritualité, des prêtres et des séminaristes, des religieux et des religieuses, des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles, des hommes et des femmes de toutes les conditions et de tous les continents. Thérèse apporte à tous sa manière personnelle de confirmer que le mystère chrétien, dont elle est devenue témoin et apôtre, se faisant dans la prière, comme elle le dit avec audace, « apôtre des apôtres » (Ms A, 56 r), doit être pris à la lettre, avec le plus grand réalisme possible, parce qu’il a une valeur universelle dans le temps et dans l’espace. La force de sa doctrine vient de ce qu’elle montre concrètement comment toutes les promesses de Jésus trouvent leur plein accomplissement dans le croyant qui sait accueillir avec confiance en sa vie la présence salvatrice du Rédempteur. »

Conseils et souvenirs, par sa soeur Céline, sur la petite voie.

Thérèse de Lisieux, seule sur les flots de la confiance ?
Lors du témoignage pour la canonisation de Thérèse, sa soeur Céline ( soeur Geneviève) se fit à son tour apôtre de la petite voie. Voici quelques extraits…

« Je lui parlais des mortifications des saints, elle me répondit: «Que Notre-Seigneur a bien fait de nous prévenir qu’il y a plusieurs demeures dans la maison de son Père! Sans cela il nous l’aurait dit…». 
«Oui, si toutes les âmes appelées à la perfection avaient dû, pour entrer eu Ciel, pratiquer ces macérations, il nous l’aurait dit et nous nous les serions imposées de grand cœur. Mais il nous annonce qu’il y a plusieurs demeures dans sa maison. S’il y a celle des grandes âmes, celle des Pères du désert et des martyrs de la pénitence, il doit y avoir aussi celle des petits enfants. Notre place est gardée là, si nous l’aimons beaucoup, Lui et notre Père céleste et l’Esprit d’Amour».

«Notre-Seigneur répondait autrefois à la mère des fils de Zébédée: “Pour être à ma droite ou à ma gauche, c’est à ceux à qui mon Père l’a destiné”»
«Je me figure que ces places de choix, refusées à des grands saints, à des martyrs, seront le partage des petits enfants… David n’en fait-il pas la prédiction lorsqu’il dit que le petit Benjamin présidera les assemblées (des saints)?»
On lui demandait sous quel nom nous devrions la prier quand elle serait au Ciel: «Vous m’appellerez petite Thérèse», répondit-elle humblement. 

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