Le vocable.
Le terme de catholicisme social semble être utilisé dès le début des années 1890, du moins pour ce qui concerne la France. L’expression existe depuis 1843 mais, à l’époque, elle est très peu usitée et tombe en désuétude pendant plus de 30 ans. Le terme reprendra vigueur au moment de l’encyclique Rerum Novarum ( Léon XIII, 1891).
Le courant de pensée.
Le courant de pensée, en revanche, existe en France depuis le début des années 1820. La raison est qu’à partir de 1817, d’après l’économiste Simiand, le pouvoir d’achat des ouvrier commence à baisser, ce qui ne cessera pas jusqu’en 1850.
La concentration industrielle, la mécanisation, l’adoption de la machine à vapeur, la concentration capitalistique, en sont les causes principales. La détresse ouvière, la misère s’installent. ( enquêtes de Villeneuve-Bargemont, Buret et Villermé) Le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, né le 8 août 1784 à Saint-Auban et mort le 8 juin 1850 à Paris, est un économiste et homme politique français. Aristocrate catholique, il dénonça le premier avec Armand de Melun l’exploitation manufacturière et fit voter les premières lois sociales. Dès 1841, c’est le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont qui fait voter la loi règlementant le travail des enfants, réclamée aussi par le comte de Montalembert, autre grand aristocrate catholique.
Cependant, la misère augmente le mécontentement des classes ouvrières. Or, la législation individualiste, depuis la loi Le Chapelier de 1791, et le code pénal par la suite, interdisent coalition, compagnonnage et associations.
L’économie, dans ce contexte, reste de philosophie individualiste, libérale à l’extrême, axée sur la seule création de richesses ( Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Ricardo ).
Politiquement, les classes dirigeantes appartiennent de plus en plus à une bourgeoisie en pleine essor, issue de la la révolution de 1789.
Manifestation de la pensée chrétienne : des débuts ardus.
Face au problème ouvrier, la pensée chrétienne ne peut que se manifester, puisque l’Eglise catholique a toujours enseigné qu’il fallait se pencher sur la misère pour la soulager. Ceci dit, par son ampleur et sa dimension sociologique ( une nouvelle classe sociale est en train de naître : le prolétariat), la question prend un caractère de nouveauté. Le clergé français est très mal préparé à faire face. A la fin de la révolution française, la hiérarchie catholique française est peut-être plus tentée de recruter et de former des prêtres » dévôts » que des prêtres instruits. Le niveau intellectuel de la masse du clergé n’est pas très élevé et l’existence de quelques penseurs ( dont l’abbé La Mennais ) ne peut faire illusion. Notons cependant que les deux frères Lamennais, Félicité et Jean-Marie, auront un impact durable, l’un sur la pensée sociale, l’autre sur son application concrète. Jean-Marie de Lamennais, resté plus fidèle à la hiérarchie catholique que son frère, deviendra fondateur et on fêta en 2011 le bi-centenaire de sa mort.
Or les laïcs, à l’époque, n’en sont qu’au début de leur rayonnement et de la prise de conscience de leur rôle d’évangélisation dans la vie de l’Eglise en France. Les deux frères Lamennais sont un exemple type des idées et des conflits, ainsi que des risques inhérents au catholicisme social naissant et en plein de vitalité;
Tout ceci explique que la pensée sociale catholique ait eu des débuts difficiles dans notre pays. Ajoutons que les Français cultivent bien l’art d’agir en ordre dispersé et de ne pas se ménager entre eux, ce qui est apparu très nettement en l’occurence. Enfin, il faut remarquer que le courant d’idée socialiste, qui naît à la même époque, utilise pour une partie de ses tenants, une phraséologie » christianomorphe », ce qui ne peut que contribuer à brouiller la communication.
Comme il existe au sein du catholicisme français un très fort courant d’idées, attaché à l’ordre établi, conservateur au mauvais sens du mot et servi par de talentueux polémistes ( au sein du Journal L’Univers par exemple), il ne faut pas s’étonner que les débuts de la pensée catholique sociale française aient été tumultueux.
Deux courants principaux parmi les catholiques sociaux français.
Mais cette pensée existe et comporte deux courants principaux, que l’on peut schématiquement étiqueter » monarchiste légitimiste » et » démocrate chrétien ».
Mais gardons-nous de vouloir ranger tous les catholiques sociaux sous leur bannière, car ce serait entrer dans un blocage politico-religieux, qui nuirait gravement à la bonne compréhension de ce qui s’est réellement passé. Malgré une certaine faiblesse dans la formation économique de beaucoup de ses partisans, cette pensée sociale catholique s’est développée et structurée pendant une cinquantaine d’années ( 1820-1870), période durant laquelle l‘action des catholiques sociaux était l’oeuvre des pionniers.
Par la suite, comme nous le verrons, l’action s’est à son tour développée et structurée, accompagnant un courant de pensée qui lui-même se renforçait avant de connaître sa » récompense », l’encyclique Rerum Novarum.
P. Y. Bonnet